2002 © Daniel Tremblay

Le roman de Marc Gendron «Titre à suivre» (XYZ éditeur, 1998) aborde lui aussi le thème de la publicité. Que vous ayez aimé ou non «99F» (Grasset, 2000) de Frédéric Beigbeder, je pense que vous lirez «Titre à suivre» avec un grand intérêt car cette oeuvre me semble littérairement mieux réussie.

Pour vous situer le livre en question, voici le texte de présentation apparaissant à l'endos:

"Ayant perdu la tête en se vendant dans le milieu de la publicité, le narrateur de Titre à suivre essaie de retrouver son esprit par l'écriture. Il ne veut ni se racheter ni s'immoler - il prend seulement plaisir à tourner le fer dans la plaie. Autant il avait jadis respecté les lois de la démence quotidienne, autant il renifle avec délectation et rancoeur les parfums de son dérèglement. Sa foi dans les règles acceptées est pulvérisée par les joies du questionnement et du doute. Aiguillonné par la tumeur qui le ronge, il cherche à se déprendre et à comprendre."

Le châtiment de ce narrateur qui s’est fourvoyé dans la pub prend la forme d’une tumeur au cerveau, tandis qu’Octave s'imagine qu'il va lui aussi "mourir d'une tumeur au cerveau!" (99F, p.108).

Permettez-moi de mettre en parallèle quelques extraits pour souligner de nombreuses autres similitudes.

" Je n'ai rien atteint et si je retrouve mon assiette je n'irai pas par quatre chemins: je repartirai de zéro ou je me supprimerai en douce… je suis bien résolu à brûler le madrier dans mon oeil avant de m'éteindre dans de beaux draps — j'étais un faux jeton qui se prostituait en retour d'une pluie de deniers et il ne me reste plus que mes actes de contrition et mes coups de gueule." (Titre à suivre p. 36)

  "Une petite mise au point. Je ne suis pas en train de faire mon autocritique, ni une psychanalyse publique. J'écris la confession d'un enfant du millénaire. Si j'emploie le terme "confession", c'est au sens catholique du terme. Je veux sauver mon âme avant de déguerpir." (99F, p. 31)
Le narrateur de «Titre à suivre» parle de "contrition" et celui de «99F» de "confession". Le premier est bien "résolu à brûler le madrier dans (son) oeil avant de (s)'éteindre dans de beaux draps." Quant à Octave, il "veu(t) sauver (son) âme avant de déguerpir." La ressemblance est frappante, cette histoire a des airs de déjà lu: non seulement l'idée de base est-elle la même (i.e. le texteur qui a renié le verbe dans la pub), mais également la forme sous laquelle cette idée est exprimée: tous les deux cherchent le salut avant de s'éclipser. Et cette idée première trouve une conclusion identique : le narrateur de «Titre à suivre» et celui de «99F» ont décidé de se repentir grâce à l'écriture, le premier en "versant du poivre sur sa plaie" (p. 38), l'autre en "crachant dans la soupe" (p. 30). L'un est plus introverti et plus philosophique dans sa démarche, l'autre plus extraverti et politique. Mais le point de départ de «99F» est le même que celui de «Titre à suivre» et son cheminement narratif est très ressemblant.

Un autre exemple : le narrateur de « Titre à suivre » a pris la courageuse décision de quitter son boulot et celui de « 99F » opte pour une variante plus facile, se contentant d'afficher la ferme volonté de se faire mettre à la porte afin d'empocher le magot:

Dans le hall d'entrée le grand Chef pleurait sur ma lettre de démission pendant qu'un saltimbanque se fendait en quatre pour multiplier les couques et pistolets. (p. 96)   J'écris ce livre pour me faire virer. Si je démissionnais, je ne toucherais pas d'indemnités. (p.15) Mais je n'ai pas les couilles de démissionner. C'est pourquoi j'écris ce livre (p. 20)
Les deux narrateurs sont aussi tourmentés par le besoin de laisser un témoignage, ils cherchent à se faire pardonner et à expier leurs égarements passés:
Je voudrais bien m'agripper à cette bouée mais l'écriture me semble un divertissement aussi aléatoire qu'une partie de fesses ou d'échecs - l'art du verbe n'est que le crack des intellos en quête de transcendance ou un cognac frelaté qui doit être agréé par le cartel de l'édition dont les visées et les normes respectent les demandes du marché tout court. (p. 67)
  Il se trouve que j'ai été témoin d'un certain nombre d'événements, et que par ailleurs je connais un éditeur assez fou pour m'autoriser à les raconter. (p. 30) Quant à moi, j'en ai plein le pif, mes dents grincent, mon visage est parcouru de tics et je sue des joues. Mais je proclame ceci au nom de cette cohorte souffreteuse: mon livre vengera toutes les idées assassinées. (p. 58)

Le narrateur de «Titre à suivre» fait une démarche existentielle pour retrouver son esprit. Pour Octave, c'est une affaire de dénonciation, de vengeance. Le premier voudrait bien "laisser une trace" mais il est rebuté par "le cartel de l'édition". Quant au second, il a déjà trouvé un éditeur qui publiera son récit "d'un certain nombre d'événements" pour venger "toutes les idées assassinées". Il s'agit donc d'une autre variation sur le même thème: l'idée initiale de se racheter grâce à l'écriture suit un plan d'action basé sur des scènes similaires et s'appuie sur une même volonté: celle de laisser un témoignage et de se frotter au milieu de l'édition.

"Émoustillé par l'opulence des néons et des proies j'ai pollué la Métropole avec une nuée de messages qui s'abattaient sur tous les toits comme des vautours. À force de parader parmi les soldes je suis passé à côté de moi-même - j'ai beau abjurer les trompettes de la pub mes mea-culpa sentent la fraude car chien battu qui se fend d'un remords traîne une queue fourchue." (p.128)

  "Je me suis retrouvé au sein d'une machinerie qui broyait tout sur son passage, je n'ai jamais prétendu que je parviendrais à en sortir indemne. Je cherchais partout à savoir qui avait le pouvoir de changer le monde, jusqu'au jour où je me suis aperçu que c'était peut-être moi." (p. 30)
Le narrateur de «Titre à suivre» "(a) pollué la Métropole". Octave, lui aussi, "pollue l'univers. (Il est) le type qui vous vend de la merde." (p. 17), Cette idée principale de pollution est non seulement identique mais elle s’exprime par une analogie (merde et rapace) qui pointe vers le même signifié : les détritus, autrement dit la pub. Le narrateur de «Titre à suivre» et celui de «99F» sont tous deux des pollueurs de la pire et même espèce. De plus, le narrateur de «Titre à suivre» a beau battre sa coulpe par des "actes de contrition", il est résigné à payer de sa personne. La même réaction se retrouve chez Octave : en couchant sa confession par écrit il entrevoit qu'il ne parviendra pas "à en sortir indemne." Les remords des deux narrateurs sont identiques : sachant qu'il n'est pas facile de changer le monde qu'ils ont contribué à modeler, ils cherchent la rédemption par l'aveu public de leurs torts. Bref, ils font la même réflexion intérieure et l'expriment de façon analogue.

Le narrateur de «Titre à suivre» compare la pub à une drogue et Octave poursuit dans cette veine:

"Il y a des manques à combler et la pub (l'opium fixant les goûts fiables et vérifiables du peuple, l'aphrodisiaque garantissant la possession totale) crée un espace virtuel où la grisaille du quotidien est occultée par une batterie d'arcs-en-ciel." (Titre à suivre, p. 32), ou encore : "Charmé par les leurres salvateurs qui s'affichent partout où se trafique la langue le spectateur est en manque à perpétuité." (p. 70).
  "Votre souffrance dope le commerce. Dans notre jargon, on l'a baptisée "la déception post-achat". Il vous faut d'urgence un produit, mais dès que vous le possédez, il vous en faut un autre. L'hédonisme n'est pas un humanisme: c'est du cash-flow. Sa devise? "Je dépense donc je suis". Mais pour créer un besoin, il faut attiser la jalousie, la douleur, l'inassouvissement: telles sont mes munitions. Et ma cible, c'est vous." (p. 17)

D'après le narrateur de «Titre à suivre», le spectateur est en "manque à perpétuité" et la pub est l'opium qui comble ses manques en lui laissant entrevoir des paradis artificiels qu'il peut se procurer à l'envi. Selon Octave, notre "souffrance dope le commerce", car une nouvelle dose de biens matériels mène à l’inassouvissement et donc à la surenchère des besoins. Non seulement Octave est-il très proche du narrateur de «Titre à Suivre», mais aussi de Réjean Ducharme : "La vie n'est pas ce qu'on pense, mais ce qu'on dépense." (Les enfantômes, éd. Lacombe, 1976).

Les deux auteurs n'ont pas manqué de faire quelques rapprochements avec d'autres mammifères:

"Les pionniers de la pub (éclairés par les règles de l'apprentissage chez les souris) avaient pigé que l'acheteur n'est qu'un caniche friand de susucre et que n'importe quel stimulus peut à la longue provoquer un réflexe de jouissance… — mais un clip isolé ne signifie rien en soi et il n'a d'autre message que ce déferlement même qui engendre le mirage d'un bonheur proportionnel au nombre de massages subis. " (p. 14-15)

  " ...ils veulent nous transformer en moutons... " ( p. 39) ou encore " ... la publicité dont rêve tous les annonceurs : quelque chose de joli, doux, inoffensif et mensonger destiné à un large public de veaux bêlants... " (p. 92)
Comparer le consommateur à un "caniche friand de susucre", c'est-à-dire à une personne dont le caractère doux et passif assure une obéissance aveugle au stimulus, ou le "transformer en mouton(s)", en une personne crédule donc, en un suiveur qui se laisse facilement berner, tout cela est du pareil au même. Encore une fois, l'idée génératrice est la même et elle trouve son expression dans des images animalières équivalentes.

Séduction, jolies filles, boniche, plaisir, allusions sexuelles, Octave et le narrateur de «Titre à suivre» parlent un idiome commun :

"Lorsqu'une bagnole fait saliver et qu'une boniche suscite le besoin d'un soda ou d'un sofa ou d'une galette de soya, le pari est gagné. La même langue lèche le goulot d'une pinte de bourbon aussi goulûment qu'une pine en gros plan et le spot met dans le mille qui associe le plaisir à n'importe quel autre produit s'insinuant dans le champ de perception du voyant: sur le seuil de l'Éden les pupilles ne se dilatent que si la tapée de marchandises étalées regorge de connotations sexuelles à toutes les sauces." (p. 32-33)

  " La séduction, la séduction, tel est notre sacerdoce, il n'y a rien d'autre sur Terre, c'est le seul moteur de l'humanité." (99F, p. 79) "... et toujours les jolies filles, puisque tout repose sur les jolies filles, rien d'autre n'intéresse les gens." (p. 245)
Mimétisme réductif? Frédéric Beigbeder et Marc Gendron ont également tous deux établi un parallèle entre la religion et la pub:

"De même la Bible (ce florilège d'allégories orientales révisées par des pharisiens gréco-chrétiens) n'est-elle pas l'un des premiers almanachs visant à manipuler les masses: elle est bourrée de truismes qui réconfortent les simples d'esprit en mal de directives." (p.30)

  "AIMEZ-VOUS LES UNS LES AUTRES", "PRENEZ ET MANGEZ-EN TOUS CAR CECI EST MON CORPS", "PARDONNEZ-LEUR, ILS NE SAVENT PAS CE QU'ILS FONT", "LES DERNIERS SERONT LES PREMIERS", "AU COMMENCEMENT ETAIT LE VERBE" — ah non, ça c'est de son père)." (p. 94)

Le narrateur de «Titre à suivre» soutient que la Bible est l'un des premiers almanachs visant à manipuler les masses et Octave cite de nombreux slogans du Christ faisant maintenant partie du patrimoine culturel occidental. La religion est une forme de pub visant à leurrer le commun des mortels et les deux narrateurs s'appuient sur ce constat pour dénoncer cette grand-messe qu'est devenue la pub. Encore une fois l'idée de base est la même, la situation est similaire et elle est exprimée dans un langage comparable mais avec un accent légèrement différent: le narrateur de «Titre à suivre» s'exprime sur un ton caustique avec ses propres mots, tandis qu'Octave offre une variation banale du mode narratif de la même idée en répétant tout simplement les paroles du Christ sur un ton ironique.

Il y encore bon nombre de pages où les thèmes de Marc Gendron et de Frédéric Beigbeder ainsi que leurs formes d'expression sont étroitement liés. Ainsi leur manière de décrire le sexe, la coke, la violence, le fric et le luxe est quasiment identique.

Par exemple, leur poste lucratif d'écrivains publicitaires ("texteur à gages" précise le narrateur de « Titre à suive » et "concepteur-rédacteur" selon Octave) permet à ces deux lurons de loger à l'enseigne de l'opulence:

"Je me suis renié pour une grosse voiture et les cabrioles de la littérature ne peuvent me racheter" (p. 34)… — mes lunettes chic soulignaient ma fonction de faux-monnayeur de choc grassement payé pour intoxiquer ma génération." (p. 38)

  "Je passe ma vie à vous mentir et on me récompense grassement" […] "Je vous manipule et on me file la nouvelle Mercedes SLK" (p. 18).
Le premier s'est "renié" (dans la pub) pour une "grosse voiture" et le second nous "manipule" (à travers la pub) pour une Mercedes. On ne sait pas si la grosse bagnole du narrateur de « Titre à Suivre » est aussi luxueuse que celle d'Octave, par ailleurs nous sommes bien renseignés sur leurs émoluments: dans les deux cas ils sont "grassement" rétribués.. Encore une fois, la situation des deux personnages, les éléments de l'action et leur discours narratif sont équivalents.

Les deux narrateurs avouent également un autre privilège inhérent à leur métier:

"Mon mentor et même certaines accointances renommées pour leurs bassesses se délectaient de mes balivernes, sans compter que je faisais de beaux voyages là où tout n'est que calme et volupté — sexe fric et rock." (p. 30)

  "J'interromps vos films à la télé pour imposer mes logos et on me paye des vacances à Saint Barth ou a Lamu ou a Phuket ou à Lascabanes (Quercy)." (p.18)
L'évolution dramatique suit ici aussi le même scénario et les termes narratifs sont similaires : les deux narrateurs rapportent leur goût pour des destinations exotiques aux frais de l'employeur. Sans parler du voyage d'Octave pour un séminaire de publicitaires au Sénégal (p. 124) ou encore à Miami pour tourner le clip du yaourt Maigrelette (p.170), deux épisodes qui sont particulièrement assaisonnés de sexe fric et rock.

Si le narrateur de «Titre à suivre» ne force pas sur la coke ou l'alcool, quelques personnages éphémères du roman — surtout les vamps parfumées désireuses de devenir des stars de la pub — s'excitent la matière grise. Et Octave se creuse lui aussi les méninges en sniffant la poudre blanche à la mode:

"L'orgasme n'est qu'un milk-shake en comparaison du rush qui la terrasse quand la coke lèche les moindres recoins de son cerveau." (p. 74).

  « C'est le problème avec la cocaïne parisienne: elle est tellement coupée qu'il faut avoir les narines solides." (p. 41)
Côté violence, nos deux auteurs n'y vont pas de main morte non plus.

Le narrateur de « Titre à suivre » décrit rapidement quatre crimes atroces commis par un serial killer. Les victimes sont : une star des médias (une lectrice du journal télévisé), une fille publique (une call-girl haut de gamme), une femme de la haute, deux adolescentes anonymes (des jumelles identiques). Il saute aux yeux que ces scènes ne sont là que pour souligner un autre aspect de la démence du monde des images et du monde tout court. Elles permettent en effet au narrateur d'illustrer la bêtise partout galopante et de dénoncer le comportement complice des marchands de l'information qui tout en hissant bien haut la bannière de l'objectivité journalistique se servent de "la voracité libidineuse des lecteurs… (ou des spectateurs) pour lancer un produit ou manipuler l'opinion."

Dans « 99F », c’est une vieille riche qui est trucidée, une innocente retraitée incarnant l'actionnariat mondialisé, la bourse, le méchant monde capitaliste. Octave participe activement à cette scène terrifiante visant à punir un "responsable du malheur contemporain" et ce meurtre s'inscrit donc dans la perspective symbolique de "changer le monde" exprimée au début du livre. Les coupables sont identifiés, Mosanto et Coca-Cola (deux géants de l’agro-alimentaire) représentent le cannibalisme des multinationales et leur hantise du profit.

Mais il est important de retenir ceci : ces scènes caractéristiques font appel à la cruauté, elles sont toutes les deux dénonciatrices quoique d'un ton différent et elles produisent le même effet dramatique dans la progression de l'histoire.

Les deux romans nous offrent de nouveau un enchaînement d'évènements et un style narratif identiques lorsque les narrateurs se la roucoulent douce en observant les contorsions de nymphes contemporaines siliconées sur toutes les coutures:

"Tout chez elle étant artificiel (son masque fardé, son style mi-fleur bleue mi-vicieux et ses courbes galbées par le silicone) elle frôle le perfection…- galvanisés par cette poupée gonflable pourvue des attributs de la divinité les mâles délirent en couleurs dès qu'ils étreignent ses formes virtuelles. Dans ce culte elle est pure apparence et elle ne prétend pas être autre chose que ce qu'ils veulent bien qu'elle soit: créée pour les distraire elle campe une déesse inaccessible appartenant à tous." (p. 81)

  "Nous avons terminé la soirée au Club Madonna, une boîte de strip-tease où les danseuses en string, parfaitement refaites (on pourrait créer un mot-valise pour ces cyberfemmes: "parefaites"), viennent chercher avec leur bouche les billets de dix dollars que vous coincez dans votre braguette. Nous avons acclamé des seins incroyables mais pas vrais." (p. 202)
« Poupée gonflable", "pure apparence", « déesse inaccessible, "divinité" pour l'un, "cyberfemmes parefaites" pour l'autre: encore et toujours la similitude des situations est frappante et les deux narrateurs lèchent leur divin su-jet d'une seule et même langue.

"Le mannequin prisant les serviettes hygiéniques Gigi jouait sur tous les registres de l'innocence et de la lubricité propres aux porno stars les plus gonflées. Sa moue dessinait un orifice évocateur et ses renflements d'angelle dépravée promettaient à la meute des seigneurs-aux-poches-pleines-et-aux-tempes-dégarnies les outrages les plus impudiques. L'un des obsédés de l'équipe l'a caricaturée bâillonnée avec la bandelette ouatée qu'elle s'évertuait à promouvoir - hanté par son look il rêvait de la ramoner avec la matraque chromée de Lucifer convertie en gode." (p.37)   "On croirait vraiment que Tamara a joué la comédie toute sa vie - en y réfléchissant, c'est d'ailleurs le cas. Le métier de call-girl forme au métier d'actrice bien plus efficacement que l'Actors Studio. Elle se révèle très à l'aise devant la caméra. Elle séduit l'objectif, bouffe son yaourt goulûment comme si sa vie en dépendait… - She's THE girl of the new century, déclare sentencieusement le producteur technique local à la nana qui tourne le "making off"? Je crois qu'il veut 1) la présenter à John Casablanca d'Elite, 2) la prendre en levrette. Mais pas forcément dans cet ordre-là." (p. 182)

L'Eve future apparaissant dans «Titre à suivre » n'annonce-t-elle pas la starlette du spot destiné à faire mousser la vente du yaourt Maigrelette, lequel spot constitue la trame autour de laquelle «99F» est tissé ? Encore un fois l'idée de base, le langage pour l'exprimer, voire le ton et les accents sont les mêmes. Le mannequin de «Titre à suivre» prend des poses lascives pour mieux faire passer le signifié et un membre de l'équipe de production voudrait bien faire l'insignifiant avec elle. Quant à Tamara, son métier de call-girl (un beau job dans la communication donc) l'a bien formée au boulot d'actrice orale sachant bien râler, elle bouffe son yaourt en se pourléchant les babines et là encore un lévrier sentencieux de l'équipe technique locale aimerait bien enfiler cette chienne de luxe et planer au septième ciel en sa compagnie. Non seulement la réalité caractéristique des deux personnages est-elle la même, mais à nouveau le déroulement et l'enchaînement des actions suivent exactement la même trame.

Obsédé par Mona (le mannequin de «Titre à suivre» qui vantait les vertus des serviettes hygiéniques Gigi) un petit rigolo de l'équipe de tournage avait ébauché une caricature et crayonné un texte obscène dans une bulle, et cette scène trouve un écho dans le scénario du clip Maigrelette qui remportera le prix du meilleur film publicitaire au Festival de la Semaine Mondiale de la Publicité à Cannes:

"Je suis au coton et tu verras rouge dès que tu m'auras prêté un petit coin d'édredon et lorsque Mona a été éventrée par ce tueur qui semait la terreur de par la ville, les ventes ont continué de grimper: le consommateur est fasciné par les figures poupines badigeonnées de foutre et de sang." (p.36)   "Tamara… s'étale du yaourt sur les joues et les seins. Elle tourne sur elle-même, gambade pieds nus dans le jardin et se met à engueuler son yaourt allégé en hurlant "Maigrelette! I'm gonna eat you!", …, et elle lèche le fromage blanc sur sa lèvre supérieure en gémissant (zoom sur son visage sur lequel dégouline le produit): "mmmm… Maigrelette, It's so good when it comes in your mouth." (p.194)

Tamara est-elle le sosie de Mona ? Oui, partout et toujours le spectateur-consommateur est un voyeur fasciné par des figures poupines souillées de sperme ou de yaourt. Cette coïncidence est d’autant plus frappante qu’à la page suivante de «Titre à suivre» on peut lire: une groupie un brin opulente "enlace un frigo et y pêche un yaourt minceur qu'elle lape transie." Et le narrateur ajoute qu'elle ira peut-être chez "une copine aux formes éblouissantes qui éventera les secrets d'une diète équilibrée."

Comme vous pouvez le constater, les points de ressemblances entre ces deux romans abondent. Le sujet est le même, il est développé en suivant le même fil conducteur et l'on a souvent affaire à des tournures identiques ou voisines. Les similitudes entre les personnages, l'action principale, l'enchaînement et la progression de nombreuses scènes caractéristiques ainsi que plusieurs épisodes de «Titre à Suivre» et «99F» sont étonnants. La même impression d'ensemble se dégage des deux oeuvres.

Ceci dit, il y a des différences notoires. Marc Gendron prend l'histoire du narrateur de «Titre à suivre» qui a perdu la tête en se vendant dans le milieu de la pub comme un prétexte pour se lancer dans l'aventure de l'écriture à la manière d'un Burroughs ou d'un Michaux, revus et corrigés par un maître zen décapant et hilarant. Frédéric Beigbeder dépeint ce même milieu et rend compte par une écriture sensationnaliste d'une aventure qu'il a personnellement vécue. Il traite la réclame comme un chroniqueur et nous donne, en passant, le budget publicitaire de Coca Cola (99F, p. 75), le chiffre d'affaires de Microsoft et la fortune personnelle de Bill Gates (p. 85), les dépenses des principaux annonceurs français en publicité (p. 221), les plus gros salaires de la France (p. 223 à 225) : cela ressemble plus à la section économique d'un quotidien qu'à de la littérature. Et passons sous silence deux pages entières de slogans publicitaires ayant pignon sur rue (p. 281-282) et les innombrables publicités gratuites pour de nombreuses compagnies, comme si on n'en voyait pas déjà assez dans les journaux et à la télé!

Octave est investi d'une mission et il découvre que le pouvoir de changer le monde réside peut-être en lui. Par contre, le narrateur de «Titre à suivre» n'a aucunement cette prétention, face à la mort tout cela n'est que littérature et il prend seulement plaisir à tourner la plume dans sa propre plaie. Cette attitude conduit à un choix littéraire tout à fait différent : l’écriture relevée de Marc Gendron est très éloignée de la langue parlée de Frédéric Beigbeder. Le style de « Titre à suivre » est à la fois lyrique et tranchant: "Auto coca loto, onguents mirifiques et céréales vitaminées, salamis macaronis tutti frutti: pétillante ou insipide l'image enjôle et chaque produit n'est qu'une pièce du casse-tête représentant un eldorado où le miel coule à flots.", ou encore : "Écrire, c'est la manière la plus ostentatoire de garder silence — c'est caresser l'espoir qu'un chapelet de mots puisse déboucher sur une parole vraie." "La pub, c'est le triomphe de la complaisance, c'est le miroir aux alouettes dans lequel se reflètent les croyances et les élans d'une nation s'accrochant à ses lieux communs." , "La tyrannie de la réclame: le marché des apparences."

Si vous avez aimé le livre de Frédéric Beigbeder, il y a fort à parier que vous apprécierez aussi celui de Marc Gendron, tant au niveau du fond que de la forme. Si par ailleurs vous ne l'avez pas aimé, alors je vous recommande fortement de lire «Titre à suivre», car son approche de la publicité est littérairement supérieure, c'est une oeuvre nettement mieux écrite, animée par un verbe incisif et plein d'humour: "Tous les individus sont égaux devant un chimpanzé qui se pourlèche les babines en ajustant sa casquette." "La repentance tient du stratagème pour mieux brailler des amen." "Investi de la mission d'évangéliser aussi bien les poires que les incrédules j'ai multiplié les prix miracles et converti les consommateurs avertis en flambeurs." "Les grandes questions (évacuées par les équations de la physique) relèvent le menu des talk-shows et se règlent entre deux pauses publicitaires." "Le néant c'est la télé avec tout son cortège de marionnettes papotant et pérorant à pleins tubes." "De par leur adulation des mécanismes du libre-échange, la pub et la pute ont partie liée."

Connaissant maintenant le prix du livre de Frédéric Beigbeder, il ne vous reste plus qu'à vous rendre compte par vous-mêmes de la valeur de celui de Marc Gendron.


Daniel Tremblay © novembre 2002

Dans le numéro de novembre de Lire, un article pieux d’Emmanuel Lemieux (Dévastatrices, les rumeurs de plagiat) sonne les clairons de la publicité pour « 99F » de Frédéric Beigbeder. Mon étude comparative entre cette œuvre et « Titre à suivre » de l’écrivain québécois Marc Gendron y est déclarée hérétique, le roman de ce dernier mis à l’index et Beigbeder absout.

«Le journaliste est au marché de l’édition littéraire ce que le mécène était à l’art d’Ancien Régime. Il peut tout – tout : encenser un livre, ou lui faire la mort sans phrase, rayer d’un trait de plume tout contradicteur, ironiser en passant sur la critique de la critique littéraire. Et ce dont le journaliste n’a pas idée, ce dont il n’a pas l’intuition littéraire, il l’étouffe, sans même le vouloir.»
(Jean-Philippe Domecq, Qui a peur de la littérature ? , p. 36, éd Mille et une nuits, 2002)

L’article de Lemieux est truffé de bobards et il me fait tout simplement un procès d’intention sans analyse digne de ce nom sur les textes en question ; le Directeur de la rédaction de Lire, me refusant un droit de réponse aussi visible et équivalent à l’espace utilisé par Lemieux, m’avise d’écrire brièvement (« Si votre droit de réponse fait une page, ce sera abusif et il ne passera pas.» dit-il) au courrier des lecteurs, ce qui est une forme déguisée de censure. Je voudrais donc ici remercier Exigence Littérature (www.e-litterature.net) qui m'a fourni l’occasion de faire une mise au point sur la bulle de Lemieux dans un espace libre et non soumis aux oukases des grandes confréries littéraires. « Et parce que pour pouvoir protester, il faudrait disposer d’un lieu de parole. » (Pierre Jourde, La littérature sans estomac, p. 64, éd L’esprit des péninsules, 2002)

Si l’on veut comprendre l’opportunisme de Lemieux, il faut d’abord préciser que j’ai reçu, en septembre dernier, deux emails de son patron. Dans un premier temps, le message suivant:

« Nous avons bien pris connaissance de votre envoi en date du 10 septembre dernier et nous vous en remercions. Malheureusement, nous ne sommes pas intéressés par votre proposition d’article

Avec nos cordiales salutations.
p/o La rédaction »


Et puis, quelques heures plus tard, j’ai reçu ce courriel:

« Pierre Assouline et moi-même venons tout juste de prendre connaissance de votre message. Etant en réunion ce matin, la personne me remplaçant n’a pas jugé bon de nous le transmettre. Ce sont des manipulations qui arrivent, d’autant que comme vous vous en doutez, nous recevons bon nombre de propositions envoyées spontanément à l’ensemble de la rédaction. Nous vous prions donc de nous en excuser. Cela dit, nous tenions à vous préciser que nous étudions votre sujet et que nous ne manquerons pas de vous tenir informé le cas échéant.Cordialement à vous.

Sophie Roy-Boxhorn
Assistante de Pierre Assouline »


Voilà une explication qui tourne à la bourde. La vérité est plus simple: l’auteur de 99F a été critique chez Lire pendant trois ans et cela crée des liens. Après réflexion, à bien y penser et en dernière analyse – voire après en avoir parlé avec Beigbeder lui-même – la (très haute) rédaction s’est ravisée, question de me garder à l’œil et d’en savoir plus sur mes intentions.

Lors d’une longue conversation téléphonique (il est donc faux que j’aie refusé de contacter ce tartuffe), Lemieux m’a informé qu’il avait demandé l’avis d’Hélène Maurel-Indart, auteure de l’ouvrage de référence « Du Plagiat » (PUF). Ne sachant pas orthographier son nom, il y a fort à parier qu’il n’a pas lu cette œuvre! Quoi qu’il en soit, elle aurait émis l’avis qu’il n’y a pas plagiat. Or quelques semaines auparavant je lui avais écrit pour solliciter son expertise. Voici sa réponse:

« Je vous remercie très sincèrement de m’avoir transmis vos réflexions sur 99 F. Effectivement ces deux romans s’inscrivent dans la même veine et il semble que le français se soit inspiré fortement du québécois, même si juridiquement, le plagiat serait très difficile à prouver».


Inutile de spéculer sur les raisons qui ont poussé Mme Maurel-Indart à changer de discours lorsqu’elle s’adresse aux mandarins de l’édition. Je suppose que cette universitaire, compte tenu de la position de Beigbeder et des rumeurs (lancées par l’intéressé lui-même ?) concernant sa nomination prochaine chez la vieille dame respectable de l'édition française, ne tient pas à froisser les caïds du milieu et veut se ménager ses entrées partout.

Lemieux qualifie mon étude de « lourde ». Il est vrai que son article est plutôt léger et manque de substance, tout préoccupé qu’il est d’imposer ses a priori en colportant des ragots au lieu d’analyser les textes. « Puisqu’on est incapable de le réfuter intellectuellement, ou trop paresseux pour le faire, le dissident doit être, en effet, disqualifié moralement. Juger, décréter, parfois lyncher deviennent des substituts tant à la pensée qu’à l’action. » (Elisabeth Lévy, Les Maîtres censeurs, p. 53, éd JC Lattès, 2002).

Voici un autre point de vue de l’un de mes interlocuteurs : «Votre analyse est très bonne, bien structurée et tient admirablement la route. Votre article m’intéresse véritablement au sens où il ne s’agit pas d’une rumeur mais bien d’un article reposant sur une analyse sérieuse ; j’aimerais publier votre article si vous êtes d’accord.» Soit dit en passant, deux rédactions indépendantes françaises ont inclus mon article dans leur site: Exigence Littérature (www.e-litterature.net) et Ecrits…Vains? (www.ecrits-vains.com). Auraient-ils tous tort ?

Lemieux se rit de la piété de mon article. Mais pourquoi donc dirais-je du mal d’un auteur que j’apprécie beaucoup et sur qui j’ai créé un site ? N’y a-t-il pas aussi de la piété dans son papier ? Doit-on s’étonner que Beigbeder reçoive l’absolution de l’angélique institution où il prêcha pendant trois ans ? Car c’est bien de religion qu’il s’agit ici, d’une histoire de clocher qui sonne faux: « C’est aller vite en besogne, et au mépris du lecteur, que de nous supposer dupes de certaine critique littéraire dont les choix promotionnels sont, disons-le, stupéfiants de duperie – ou d’autoduperie. » (Jean-Philippe Domecq, opus cité, p. 32)

Et lorsque, dans l’article Sollers le parrain du numéro d’octobre de Lire, Marie Gobin veut nous faire gober que son collègue Lemieux prépare une « enquête mordante » sur les nouvelles castes intellectuelles et médiatiques, cette réflexion de Domecq prend tout son sens et nous rappelle que « Là où il y a des honneurs, il y a des laquais. » (Julien Gracq)

La mauvaise foi de Lemieux est manifeste. Il suffit de lire le début respectif de nos articles pour s’en convaincre. De plus, je n’ai jamais affirmé qu’on devait « idolâtrer » Titre à suivre ou son auteur et je n’ai jamais qualifié Beigbeder de « sangsue inextinguible » et de « truand littéraire ». Enfin, je n’ai jamais employé le mot plagiat. J’ai simplement noté de nombreuses similitudes entre plusieurs scènes caractéristiques et la manière de chaque auteur de traiter la publicité. J’en ai conclu que si les lecteurs ont aimé le livre de Beigbeder, il y a fort à parier qu’ils apprécieront aussi Titre à suivre car son approche de la publicité est littérairement supérieure.

Pourquoi ce journaliste déforme-t-il ainsi mes propos à qui mieux mieux. Qu’il me soit permis d’avancer que c’est sa servilité envers la belle famille de l’édition qui guide sa démarche. Lemieux publiera chez Denoël en janvier prochain et il se ménage les faveurs de Beigbeder, tout en flattant son patron, Pierre Assouline, qui a publié dans plusieurs grandes maisons… dont Gallimard !

Dans La littérature sans estomac (opus cité, p.39), Pierre Jourde fait le constat suivant : « Certains organes littéraires ont une responsabilité dans la médiocrité de la production littéraire contemporaine. On pourrait attendre des critiques et des journalistes qu'ils tentent, sinon de dénoncer la fabrication d'ersatz d'écrivains, du moins de défendre de vrais auteurs. Non que cela n'arrive pas. Mais la critique de bonne foi est noyée dans le flot de la critique de complaisance. On connaît cette spécialité française, qui continue à étonner la probité anglo-saxonne: ceux qui parlent des livres sont aussi ceux qui les écrivent et qui les publient. »

Lemieux avance aussi que « Gendron a réalisé un roman introspectif sur la littérature, Beigbeder une grosse farce sur la publicité, auxiliaire de la mondialisation néolibérale. » C’est à croire que j’ai inventé pour les fins de mon étude les nombreuses citations de Gendron sur la publicité ! Une fois encore Lemieux trompe le lecteur et lui inflige une conclusion dictée d’avance: Beigbeder a tout inventé et il se doit d’être intronisé par Lire. Oui, Titre à suivre a le mérite d’aborder d’autres sujets que la publicité, ce qui fait de son auteur un écrivain et non un spécialiste du marketing et des manœuvres médiatiques. Les œuvres de Marc Gendron ne sont pas de pures distractions mais de la littérature exigeante pour lecteurs avertis : le lecteur est en droit de se faire sa propre opinion… à condition que l’auteur n’ait pas été mis à l’index par les pontifes du monde littéraire :

« Ceux que j’appelle les rebelles de confort tiennent férocement à conserver aussi le monopole de la critique parce qu’une certaine forme de critique est inséparable aujourd’hui de l’exercice du pouvoir […] Ils veulent éternellement rester où ils sont, et que tout émane d’eux, la critique et la domination ; la pastorale libertaire et la sélection sectaire (souligné par moi). Ainsi, tiennent-ils le bon bout par les deux bouts du tabou. Mais la farce commence à être réchauffée, et ils ne paraissent plus que pour ce qu’ils sont : des approuveurs galonnés, des adjudants du non-conformisme blanchis sous le harnais et qui aboient le mot « pamphlet » chaque fois qu’une critique menace leur approbation absolue camouflée en critique dans le sens du vent. »
(Philippe Muray, Exorcismes Spirituels III, p. 164, éd Les belles lettres, 2002)

Lemieux ne cite qu’une seule des nombreuses comparaisons mises en parallèle dans mon étude, à la décharge de Beigbeder bien sûr. Il juge beaucoup plus qu’il n’analyse : « Cette idéologie dominante qui se pense libérée de toutes les idéologies ne peut triompher qu’au prix d’une abdication fondamentale qui conduit à faire prévaloir l’émotion sur la compréhension, la morale sur l’analyse, la vibration sur la théorie. » (Elisabeth Lévy, opus cité, p. 17)

Examinons deux de ces comparaisons :

"Lorsqu'une bagnole fait saliver et qu'une boniche suscite le besoin d'un soda ou d'un sofa ou d'une galette de soya, le pari est gagné. La même langue lèche le goulot d'une pinte de bourbon aussi goulûment qu'une pine en gros plan et le spot met dans le mille qui associe le plaisir à n'importe quel autre produit s'insinuant dans le champ de perception du voyant: sur le seuil de l'Éden les pupilles ne se dilatent que si la tapée de marchandises étalées regorge de connotations sexuelles à toutes les sauces."
(Titre à suivre, p. 32-33)

"La séduction, la séduction, tel est notre sacerdoce, il n'y a rien d'autre sur Terre, c'est le seul moteur de l'humanité." (99F, p. 79) "... et toujours les jolies filles, puisque tout repose sur les jolies filles, rien d'autre n'intéresse les gens."
(99 Francs, p. 245)

"De même la Bible (ce florilège d'allégories orientales révisées par des pharisiens gréco-chrétiens) n'est-elle pas l'un des premiers almanachs visant à manipuler les masses: elle est bourrée de truismes qui réconfortent les simples d'esprit en mal de directives."
(Titre à suivre, p.30)

"AIMEZ-VOUS LES UNS LES AUTRES", "PRENEZ ET MANGEZ-EN TOUS CAR CECI EST MON CORPS", "PARDONNEZ-LEUR, ILS NE SAVENT PAS CE QU'ILS FONT", "LES DERNIERS SERONT LES PREMIERS", "AU COMMENCEMENT ETAIT LE VERBE" — ah non, ça c'est de son père)."
(99 Francs, p. 94)

Lequel de nos deux écrivains est le plus créatif ? Il saute aux yeux que l’invention et le style, comme le soutient si judicieusement Maurel-Indart, ne sont absolument pas comparables. Gendron pense par lui-même, il écrit dans une langue imagée et très rythmée ; tandis que Beigbeder cite pêle-mêle des slogans de la Bible ou se contente de navrantes répétitions dans de courtes phrases empruntées à la langue parlée. Oui, Lemieux a raison, 99 F est une grosse farce provenant d’un auteur appartenant à une race bien spécifique: « les je-ne-sais-qui et les presque-rien, toute la clique des faiseurs, truqueurs, pipeurs, enjôleurs, doreurs de pilules et joueurs de gobelets, dont les pratiques répétitives nous navrent .» (Michel Waldberg, La parole putanisée, p. 23, éd. de La différence, 2002).

Je terminerai en disant ceci : essayez de vous libérer des « perversions du système éditorial » (Pierre Jourde, opus cité, p. 9) et du monopole des médias, ayez le courage de lire des auteurs qui n’appartiennent pas à une coterie littéraire.